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Les Acrobates du carrefour

Aventuras en México

Roman

Dominique Arnaud

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avant propos de l'auteur

 

Cette histoire purement fictive a été écrite lors d'un séjour au Mexique en 2009. Elle s'appuie sur l'observation bien réelle, tant des gens que des sites, d'un pays fascinant. A aucun moment l'auteur n'a voulu porter un regard péjoratif sur ce grand pays d'Amérique latine qu'il aime beaucoup et dont il admire passionnément bien des aspects. Son modernisme s'appuie sur une immense culture établie bien avant l'arrivée des conquistadors espagnols. Sa tradition chrétienne le rend plus facilement compréhensible aux occidentaux. Son peuple, par sa joie de vivre et son caractère bon enfant, se montre particulièrement attachant. Mais objectivement il n'était pas possible de passer sous silence la misère, la corruption et l'insécurité qui y règnent, problèmes de société qu'illustre cette aventure imaginaire.

Cependant, il est juste de croire au grand destin de cette vaste nation démocratique, forte d'une réelle capacité à se développer économiquement dans le souci de l'environnement. Magnifiant ses libérateurs et s'animant d'une foi très vive en l'avenir, elle établit un lien flamboyant entre l'Amérique septentrionale et l'Amérique australe

entre les peuples anglophones (et francophones) et ceux s'exprimant dans les langues ibériques, espagnole et portugaise. Elle peut jouer, au plan international, un rôle modérateur. L'époque à laquelle ont été rédigées les lignes qui suivent fut marquée par le début de l'épidémie de grippe dite «  porcine » puis « mexicaine » qui a inquiété le Monde entier et lors de laquelle le Mexique a démontré son étonnante réactivité pour un pays qui est toujours en voie de développement tandis que d'autres, sur le Vieux Continent, ont tendance, malgré leurs indéniables atouts, et leurs richesses, à s'étioler...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PREMIERE PARTIE

 

Petits métiers de la rue

 

 

 

A Mexico, le Viaduc n'est pas une artère comme les autres. Il est couvert d'une pelouse rase, jaune et assoiffée, toujours déserte, ne laissant pas imaginer que l'eau circula sous le terre-plein central tandis que, de chaque côté, s'écoule, tel un flot bruyant, un trafic de type autoroutier. Sans cesse, jour et nuit, des milliers de voitures y sont lancées à toute vitesse. Lors des embouteillages, elles ralentissent, paressent, s'excitent, deviennent les écailles d'un long serpent multicolore exprimant son impatience par le concert des klaxons. A proximité de la fameuse avenue Insurgentes, la plus longue de la mégapole et sans doute du Monde, la silhouette unique du World Trade Center reflète la couleur du temps dans ses milliers de miroirs. Symphonie de bleus. A son faîte, sa drôle d'excroissance ronde, tel un chapeau grotesque de la mamie des misses France, contient le restaurant panoramique qui, tournant tel un manège, permet aux convives, au fil d'un repas, d'admirer le panorama de la ville sur trois cent soixante degrés. Le soir tombant c'est un enchantement, quand la capitale allume ses lampions. Chaque ampoule estompe la grisaille du béton. Une magie devant laquelle Ursula et Maria n'écarquilleront sans doute jamais les yeux.

Et pourtant, elles la connaissent bien, la masse colossale du centre d'affaires connu sous ses initiales WTC. Pesos, dollars et euros s'y comptent en millions, passent de main en main, alors que règne le luxe le plus inouï dans une cité où voisinent la plus grande pauvreté et les fortunes les plus insolentes, où les démunis s'inquiètent pour leur avenir, où les riches tremblent tellement pour leurs biens et leur vie que l'omniprésence de la police ne suffit plus à les rassurer.

Elles la connaissent bien car le gratte-ciel sert de décor à leur activité sempiternelle, ce petit métier qu'elles exercent toujours au même endroit, près du pont enjambant le viaducto Presidente Miguel Aleman pour aboutir à la rue Patricio Sanz. Là, un tas de gravas révèle l'existence d'un chantier inachevé. Au carrefour avec la voie latérale sud, ces débris hétéroclites offrent à Ursula et à Maria la possibilité de s'asseoir, pour se reposer entre deux numéros, devant les dizaines de voitures qui, chaque minute stationnent au feu tricolore avant de se disperser dans les rues cossues de la colonia Del Valle. Ce quartier, sans atteindre le luxe du ponant de Chapultepec, parc central de Mexico DF (petit nom du Distrito Federal), se montre plutôt bourgeois, si l'on en juge à la présence de multiples gardiens en uniformes et gilets pare-balles devant les appartements confortables, les villas de style ancien et les garages aux grilles puissantes qui protègent de grosses voitures européennes et américaines.

La plupart des voies sont ombragées d'arbres somptueux. Parmi eux, des ficus géants étalent leurs ramures. Ils épanouissent le même feuillage vert sombre que celui de leurs cousins qualifiés de benjamina, qui en Europe s'étiolent dans leurs pots. Chaque immeuble soigne son bout de trottoir orné de pelouses, de massifs fleuris, et surtout de petites haies de buis que les concierges arrosent chaque jour, tout en lavant au jet les dallages disjoints, bien que la pénurie en eau potable représente, avec la délinquance et la pollution, l'un des principaux soucis des autorités gouvernementales.

Mais Ursula, fillette d'un dizaine d'années et Maria, tout juste majeure, s'en moquent. Au péril de leur vie, elles ne sont là que pour faire moisson de piécettes qui leur permettront de subsister.

(à suivre)

Ursula, aux cheveux d'un noir profond, a conservé la fine physionomie de l'enfance. Sa grande sœur, dont les traits se sont épaissis avec l'âge, mais qui reste séduisante, est tout aussi brune, si bien que par contraste leur peau bronzée, déjà tannée par le soleil, ne semble pas si foncée. Leurs dents blanches et leurs brillants yeux d'obsidienne noire éclairent des visages rendus graves par les préoccupations quotidiennes. Soucis de subsistance rendant indispensable leur présence régulière, là, dans la poussière qui s'incruste dans leur peau, dans les vapeurs d'essence qui rongeront sans doute leurs poumons.
Ne croyons pas que le spectacle qu'elles offrent au passant soit digne d'un music-hall, ni même d'un petit cirque de campagne. Ce qui émeut, dans leur prestation, c'est plutôt le péril qu'elles affrontent avec témérité, toutes les deux minutes, quand la plus âgée s'allonge sur la chaussée, dont elle s'isole avec du carton ondulé, devant la meute vrombissant des autos prêtes à démarrer.

Couchée sur le dos, les genoux relevés et les pieds solidement posés, à plat sur le bitume, elle sert de tremplin ou de cheval-d'arçons à la gamine qui prenant appui sur elle se livre maladroitement à quelques exercices de gymnastique. Les galipettes ne cessent que quelques secondes avant le passage du feu rouge au feu vert. Tandis que la grande regagne prestement le trottoir, pose le carton sur les décombres et s'y assied, la petite se faufile parmi les véhicules impatients de remettre les gaz, et quémande, main tendue vers les conducteurs, dont certains, émus ou blasés, lui donnent alors un ou deux pesos. Ils ont tellement l'habitude d'être sollicités aux carrefours et péages par les marchands de chewing-gum et de boissons, par les crieurs de journaux, par les laveurs de pare-brise, par les jongleurs de tout poil, par les joueurs d'orgue de Barbarie ou par les quêteurs de la Croix Rouge qu'ils se sont habitués à l'idée de leur céder, de temps en temps. Serrant dans sa main salie la maigre recette, s'en frottant le front en sueur qu' ainsi elle maquille involontairement, Ursula file vers son aînée, échappant une fois de plus à un pare-choc nerveux. Elle se laisse tomber, signe évident de lassitude, près de sa comparse, le dos déjà meurtri par deux heures de roulades. Le feu passe de nouveau au rouge. Au loin, un lourd metrobus démarre bruyamment, rugissement couvert par le concert assourdissant d'un cortège d'ambulances aux klaxons multiples. Mexico est peuplé de décibels, jour et nuit. Alors que Maria manifeste quelque flemme à se relever pour repartir au turbin, Ursula change de numéro, faute de partenaire. Elle tente de jongler maladroitement, puis progresse vers les autos en faisant la roue, laissant échapper l'une de ses trois balles qu'elle ne peut récupérer tout de suite sous les bas de caisse des véhicules. Ce sera plus facile quand le gros du trafic sera passé. Alors la fillette, ne disposant que de peu de temps, montre sa main crasseuse, grande ouverte, au conducteur d'un quatre-quatre qui ne baissera pas sa vitre, car la climatisation poussée à fond l'incite à se garder de la chaleur ambiante. Elle rejoint juste à temps le trottoir tandis que le flot des voitures s'écoule à nouveau. Destiné à mettre en garde les piétons, le compteur lumineux du  semaforo  (feux tricolores) leur indique qu'il ne leur reste que quarante-huit secondes de répit avant de reprendre leur petit boulot de saltimbanque.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(à suivre)

 

Enlèvement au carrefour

 

Encore quelques secondes avant le feu vert

 

 

Ce soir-là, Ursula et Maria sont déjà à la tête d'une bonne recette, mais la petite a mal aux reins tandis que la grande se montre lasse de s'allonger sur la chaussée, telle un vulgaire tope. Les topes sont ces fameux dos-d'âne mexicains qui, par villes et villages, obligent les autos à ralentir. Même à vitesse réduite, certains sont si épais qu'ils ne se franchissent qu'au pas et néanmoins au grand péril des amortisseurs, assurant par là même la sécurité optimale des piétons. A première vue, une bonne cinquantaine de piécettes doivent représenter une petite centaine de pesos, de quoi s'offrir quelques savoureux tacos, ces galettes de maïs fourrées de roboratifs fricots, dont la sauce coule entre les doigts maladroits, ce qui fait partie du plaisir.

Bien que neuf heures du soir aient déjà sonné, les deux filles ne peuvent pas rentrer tout de suite. Il leur faut, obligatoirement, rapporter davantage d'argent à la maison, après un long trajet. Leur domicile est situé à l'autre bout de l'immense agglomération. Elles prendront, pour deux pesos, le métro souterrain à la station Viaducto pour rejoindre Indios Verdes, tout au nord, non loin de la Guadalupe et de ses basiliques aux clochers penchant dangereusement.

 

la Guadalupe et de ses basiliques

 

Les deux filles ne sont pas allées beaucoup au catéchisme ; elles ne connaissent pas très bien la Bible, à par quelques bribes du Nouveau Testament, mais vénèrent la vierge brune qui apparut il y a plusieurs siècles à un pauvre Indien. C'était quelqu'un de semblable à elles. La Madone lui laissa en témoignage son image miraculeuse, revêtue d'un manteau couvert d'or. Elle s'était imprimée sur la tilma, tunique de l'indigène. D'où la création d'un énorme courant de ferveur populaire bien sûr entretenu par le clergé. Ursula et Maria rêvent aux costumes somptueux de la mère de Jésus, car dans les églises de ce pays à la foi naïve, toutes les statues, habillées de riches étoffes, sont parées magnifiquement, émerveillant les fidèles. Elles en regardent avec d'autant plus de honte leurs propres vêtements, des survêtements acquis sur un marché populaire, et que les lavages fréquents ont fait virer au gris. Une fois arrivées au terminus du métro, il leur faut encore parcourir deux kilomètres dans ce quartier nord qui la nuit tombée s'avère plutôt périlleux. En dehors du risque d'agression, imprévisible, elles savent qu'Ignacio, qui traîne toujours dans son fief, aux alentours du supermarché, s'emparera d'une bonne partie de leur gain. Caché dans un encoignure, il leur tendra la main, sans leur dire grand chose. Et il ne sera pas question de refuser. Les filles ne savent rien de la maffia dont elle subodorent l'existence, dont Ignacio représente peut-être un rouage mineur. Mais elles n'ignorent pas que leur sécurité est à ce prix, qu'il leur faudra débourser cinquante pesos pour pouvoir passer. Cet Ignacio, il n'a pas l'air bien méchant, mais les muscles roulent puissamment sous son polo de grande marque. Il est chaussé de super tennis griffées, porte au poignet une fausse Rolex. Dans sa poche un long couteau à cran d'arrêt est prêt à jaillir. Il ne les a jamais vraiment menacées, mais il leur a expliqué gentiment que quelquefois, ceux et celles qui ne versent pas de bon cœur leur dîme, commerçants ambulants ou non, et même mendiants, perdent toute protection. Ils risquent alors d'être passés à tabac ou de voir leur boutique incendiée. Quand à elles, les acrobates du carrefour, leur jeune féminité les expose de surcroît au viol...

Pour rapporter plus de cinquante pesos à leur mère, il leur faut donc travailler encore une heure malgré la fatigue les étreignant.

(à suivre)

A la maison, ce n'est pas drôle tous les jours. La maman est bien gentille, fait ce qu'elle peut, mais se montre dépassée par les difficultés de la vie depuis que le père a été victime d'un accident. Alors qu'il vendait, en plein trafic, des cigarettes aux automobilistes, il a eu le pied écrasé par une camionnette. La blessure n'avait pas l'air très grave. Comme il n'avait pas assez d'argent pour payer le médecin, il s'est donc contenté de la pommade recommandée par le pharmacien. Au Mexique, on ne meurt pas de faim, mais l'alimentation n'est pas toujours bien équilibrée. La consommation de beaucoup trop de sucre, notamment dans les sodas, et celle du gras abondant dans les préparations des gargotes de la rue, entraîne de très nombreuses obésités qui associées au diabète rendent fort sensible aux infections. Malgré les campagnes de prévention, malgré les caravanes médicales installées sur les trottoirs, l'homme ne savait pas qu'il était atteint de cette hyperglycémie. Quand Antonio s'est enfin rendu à l'hôpital, ne supportant plus la douleur s'aggravant, la gangrène était déjà bien installée. Il a fallu l'amputer. Le chirurgien a coupé au niveau de la cheville, dans un premier temps, puis à la hauteur du genou. La cicatrisation a pris de longues semaines. Depuis, le père trompe son inactivité en sirotant des bières, de la Corona en litres, et il peut se montrer brutal quand la recette est insuffisante pour l'abreuver, et que sa femme, Julia, n'est pas là pour le tempérer. Julia qui, pour quelques pesos de plus, vend des friandises au coin de l'avenue, à longueur de journée.

La gamine et sa grande sœur vont donc travailler une heure encore.

L'aînée boit, au goulot d'une bouteille en plastique, une gorgée d'eau tiédie ; elle pousse un gros soupir, se saisit de son carton, attend que les voitures s'arrêtent au rouge pour s'allonger devant les calandres brûlantes. Le sol restitue encore la chaleur dont le soleil l'a gorgé lors d'une journée étouffante. En avril, on atteint quelquefois trente degrés à l'ombre, à Mexico, malgré son altitude de plus de 2200 mètres. Prenant appui sur ses genoux, la fillette exécute non sans mal une pirouette avant, puis une roulade arrière. Elle souffle un peu, jette un coup d'œil au semaforo, estime qu'il est temps d'aller réclamer son du. Elle n'a pas encore appris que, depuis une heure, les stations de radio et la télévision diffusent un message alarmant. Rien n'est pourtant officiel, mais on craint une épidémie de grippe porcine qui pourrait faire des ravages et tourner à la pandémie. L'appréhension de la contagion commence à se répandre à Mexico comme une traînée de poudre. Les conducteurs n'osent plus baisser la vitre de leur voiture. Bientôt ils se muniront de masques de chirurgiens, à l'instar des badauds craignant la pollution dans les rues de Tokyo. La fillette revient bredouille vers sa grande sœur, en traînant les pieds.

Cependant, il leur faut encore augmenter leur recette. Bien qu'en ayant marre, elles reprennent alors leur travail avec détermination, pour vite en finir. Ursula a de plus en plus chaud. Sous son survêtement, elle porte un chemisier blanc et un short rose. Elle se met à l'aise et c'est dans cette tenu légère qu'elle va maintenant, non plus accomplir de pénibles exercices au sol, mais seulement se livrer à des tours d'adresse ou encore tenter des roues bien imparfaites car ses jambes, en tournant, ne se maintiennent pas correctement dans le plan du corps. Dans cette position, le t-shirt remonte et dégage son ventre mat percé d'un nombril noir, tandis que l'échancrure de la culotte révèle le petit slip blanc. Son aînée la regarde faire, inquiète de cette impudeur innocente, et tandis que la cadette se démène, elle tire avidement sur une cigarette blonde. Point rouge dans la nuit sous les feux tricolores. A l'horizon, le World Trade Center a allumé ses fanaux, tels des étoiles accrochées à un firmament bleu nuit. Sans cesse les avions de ligne semblent tourner autour du luxueux gratte-ciel avant de descendre vers le proche aéroport. Les hélicoptères poursuivent des rondes mystérieuses. En fait il ne s'agit que d'observer les conséquences du glissement de terrain ayant creusé un abîme près du gratte-ciel, après de fortes pluies.

Sur le Viaduc, la circulation des automobiles a perdu de sa densité. Le vacarme s'est beaucoup réduit. Mais une sirène de police se fait entendre, dans le lointain. Dans dix secondes, le semaforo passera du rouge au vert. Ursula s'approche de l'unique véhicule arrêté au carrefour. C'est une camionnette vieillotte, tôlée à l'arrière. Dans l'ombre elle distingue deux types, assis sur le triple siège avant. La petite tend la main. Ce n'est pas la vitre qui s'entrouvre, mais la portière. Ursula s'approche, dans l'espoir d'une obole. Un bras jaillit du véhicule, des doigts puissants agrippent l'enfant, la tirent dans l'habitacle. Sans attendre le retour du vert, les auteurs du rapt démarrent dans un terrible crissement de pneus.

(à suivre)

Du trottoir longeant la balustrade du pont, Maria a tout vu, mais l'enlèvement - crime trop fréquent à Mexico - s'est perpétré si vite qu'elle n'a eu le temps, ni de hurler, ni de relever le numéro du petit utilitaire.

Elle court maintenant comme une dératée dans la direction prise par le fuyard, risque de se faire renverser en traversant la large avenue Coyoacan. A bout de souffle, car on respire mal dans les rues de la capitale par temps de canicule, elle trébuche, s'effondre sur le sol où elle s'écorche les genoux, se relève éperdue. Comme la camionnette a disparu, elle se réfugie dans le petit jardin public où à longueur de journée, les jeunes jouent au ballon, dans une enceinte grillagée qui est aussi le siège d'une école de football. Actuellement, le terrain est désert. Dans le parc, il n'y a plus qu'un couple d'amoureux enlacés contre un arbre. Sur une table proche subsistent les reliefs de leur pique-nique. Ils viennent là souvent. Ils s'y sentent seuls au Monde. A la mode mexicaine, leur étreinte est démonstrative. Comme une danse passionnée et joueuse à la fois...

Rompue, Maria se laisse d'abord tomber sur un banc, puis reprend ses esprits, se dit qu'il lui faudrait prévenir la police, sans que cela ne représente vraiment, pour elle, un espoir. A quoi bon ? S'interroge-t-elle. C'est pourquoi, aussi effrayée à l'idée d'agir qu'à celle d'omettre de donner l'alarme, elle hésite encore. Les flics lui font tellement peur... et puis, ce rapt brutal, ce n'est peut-être qu'un mauvais rêve... Tout va sans doute s'arranger... A pas lourds, elle regagne le carrefour où elle se produisait avec sa sœur. Elle récupère son carton et les effets de la fillette. Morte d'inquiétude, elle ne perd pas toute espérance. La petite ne peut que revenir. Impossible qu'elle se soit volatilisée pour toujours. Un épais filet de sang coule le long de la jambe gauche de la jeune fille, comme elle en a vus souvent de semblables, dans les chapelles où les blessures du Christ et des martyrs écorchés suintent éternellement. L'iconographie mexicaine est faite d'hémoglobine et de somptueux vêtements en tissus, de broderies dorées, habillant les statues. En chemin, elle a imploré la Vierge de la Guadalupe.

Le Mexique et ses habitants sont, comme elle, tellement imprégnés de mysticisme, parfois de superstition, que Maria ne peut pas imaginer, tout à fait, que son Ursula ait pu s'envoler à tout jamais. Un miracle peut encore se produire!

(à suivre)

Alors que la nuit se fait encore plus noire, que l'ombre a gagné tous les recoins, que la ville semble s'endormir dans une torpeur inhabituelle, Maria prend le chemin de la station de métro la plus proche. Elle craint beaucoup d'annoncer la nouvelle à sa mère, à laquelle finalement elle laissera prendre la décision d'alerter, ou non, les autorités. Elle s'attend à des hurlements et à des torrents de larmes. Elle redoute beaucoup ces moments pénibles auxquels elle ne pourra pas échapper.

Bien qu'imprévisible, la réaction d'Ignacio le racketteur ne l'effraie pas. Ils sont du même âge. Le garçon apportera peut-être un éclairage sur la situation et sur la conduite à tenir. Au moins, avec lui, elle se trouve en pays de connaissance alors qu'en ce qui concerne les ravisseurs de sa frangine, elle se sent vraiment confrontée à un monde inconnu. Un univers dont la violence n'a pas de limites, mais avec lequel Ignacio peut constituer un intermédiaire.

Au fond de son cœur, Maria croît toujours, ou du moins veut croire très fort, qu'Ursula puisse encore surgir de l'ombre.

Et elle ne se trompe pas ! Elle perçoit comme un froissement léger derrière elle, puis entend soudain une petite voix qui gémit son nom. Elle sent des doigts menus lui frôler l'épaule, lui transmettre un léger tremblement. Maria se retourne brusquement, saisit vivement les mains poisseuses de la gamine :

- C'est toi, Ursula ? J'ai eu si peur ! Que s'est-il passé ? 

 

 

 

La peur au ventre

 

Ursula éprouve bien du mal à s'exprimer. Ses grands yeux noirs trahissent encore sa terreur. Les orbites cernées mangent son petit visage où les larmes ont tracé un sillon dans la poussière. L'enfant montre le t-shirt déchiré, la culotte dont elle maintient sur elle, malhabilement, les lambeaux. Elle ne peut qu'avouer, en pleurant, qu'elle a mal au ventre, qu'elle a envie de vomir. Elle n'en dira pas davantage maintenant, sinon, après quelques minutes de silence douloureux :

- Maria, ils m'ont dit que, désormais, on ne devra plus donner le moindre peso à Ignacio. L'argent, il faudra le leur remettre. Ce sera sans faute, chaque soir, au carrefour même. Ils passeront régulièrement. Ils ont promis aussi que, sinon, ils recommenceront. En pire... 

Ursula et Maria sont enfin arrivées à la station de métro. Elles sont heureuses de s'y réfugier. Pourtant, dans la rame, il n'y a que très peu de voyageurs, ce qui les inquiète. Quitte à rester debout, la présence d'une foule nombreuse les rassureraient davantage que cet isolement. Elles s'assoient, se blottissent l'une contre l'autre, tremblent encore d'effroi. C'est pourquoi elles se serrent le plus fort possible, se donnant ainsi du courage mutuellement. L'aînée s'inquiète. C'est dans un souffle qu'elle interroge :

- Alors, qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? Ils t'ont... 

- Non... On a roulé un peu, pas longtemps, mais très vite ; puis ils m'ont traînée hors de la voiture, m'ont poussée dans un coin noir et là, en me collant une main sur la bouche, ils ont tiré sur mes vêtements, tâté la poitrine, alors que pourtant je n' ai pas encore de seins, tu le sais bien... Ils rigolaient... Et puis ils m'ont touché le sexe, mis dedans, profond, un doigt qui m'a fait mal, mais pas plus, je te jure... Je n'osais pas bouger. Et c'est alors qu'ils m'ont crié ce qu'ils voulaient, ce que je t'ai dit à propos de l'argent... qu'ils passeraient tous les soirs. Ensuite, ils m'ont bousculée, projetée vers la chaussée. J'ai failli tomber, mais j'ai pu me rattraper :

« File, a dit l'un d'eux, cours, va rejoindre ta grande sœur, et pas un mot à tes parents et à la police. A demain donc, au carrefour et surtout, prends garde! »

- Et tu les reconnaîtrais ? demande Maria.

-  Non, répond la petite, qui précise :

-  Ils n'étaient pas très grands, mais costauds. Ni l'un ni l'autre n'avaient pas l'air bien vieux, mais ils portaient un foulard sur la bouche et le nez. Alors... A SUIVRE

Les deux sœurs sortent du métro. Elles ont encore à marcher jusqu'à la planque d'Ignacio, que leur signalera le bout rouge de sa cigarette allumée. Mais ce soir, aucune lueur n'apparaît. Le recoin est vide. Il n'a personne derrière la petite boutique en tôle où, le matin, se vendent tacos, boissons aux fruits, cafés à l'américaine dans des tasses en plastique blanc. Personne, mais en regardant bien, les filles distinguent, là où devrait se trouver le jeune racketteur, une tache brune et poisseuse sur le sol. On dirait du sang. A côté, il y a aussi l'une des tennis neuves d'Ignacio. Elles ne sauront sans doute jamais ce qui lui est arrivé, mais sa disparition, pour elles, n'augure rien de bon. Au moins, avec lui, dans leur propre quartier, elles savaient à quoi s'en tenir.

Aujourd'hui, finalement, elles n'auront partagé leur recette avec personne. Elles pourront donc en distraire une partie sans que les parents ne s'en doutent, mais cette piètre perspective ne parvient pas à dissiper leur angoisse du lendemain.

Encore quelques centaines de mètres restent à parcourir.

Alors qu'elles approchent de leur immeuble, Ursula s'arrête, interpelle son aînée avec détermination :

- Tu sais Maria, je viens de réfléchir. Les types, ils en connaissent beaucoup sur nous. Ils savaient pour Ignacio. Ils avaient repéré que nous lui donnions du fric... C'est pour ça qu'ils s'en sont pris à lui. Nous ne devons pas retourner au carrefour, j'aurais trop peur... 

- Tu as raison, répond la grande soeur.

- Mais dans ce cas, il ne faudra pas non plus rester à la maison. Ils nous retrouveraient forcément. Nous serions perdues ! Où pourrions-nous nous cacher ?

Les deux sœurs n'iront pas plus loin dans cette réflexion.

En effet, derrière elles, une voix d'homme les fait sursauter. C'est Ignacio qui apparaît. Il n'a pas l'air bien éprouvé, malgré sa blessure.

- Eh ! Les filles. Rassurez-vous, je n'ai pas dit mon dernier mot ! 

Le garçon, qui ne doit pas avoir beaucoup plus de vingt ans, a plutôt une jolie gueule. Ses cheveux sombres, abondamment gominés, sont tirés en arrière. Car Ignacio n'aime pas la mode des crêtes ou mèches hérissées. L'une de ses pommettes est tuméfiée, maquillée d'un mélange de brun et de rouge, comme par un violent coup de poing. Un œil, déjà ombré de bleu, vire au noir. Son bras gauche est bandé, et du pansement, le sang suinte encore.

- C'est un coup de couteau, dit-il, mais juste une grosse égratignure. Il ne perdent rien pour attendre.

Et d'ajouter énergiquement :

-  Passez-moi d'abord la monnaie. Demain, vous irez au carrefour comme d'habitude.

Maria veut protester, mais le garçon l'interrompt :

à suivre)

- Je suis au courant de tout, je sais bien que c'est moche de vous exposer, mais demain vous retournerez quand même au viaduc ! Quant à toi, Maria, ne laisse plus la petite aller seule vers les automobilistes. Elle risquerait trop gros.

- Je ne veux pas, j'ai trop peur, lance encore l'enfant.

- Je serai là, et s'ils se pointent, ils me paieront cher ce qu'ils vous, ce qu'ils nous ont fait ce soir, corrige le jeune homme pour exprimer que désormais, il fait bloc avec ses protégées.

Joignant le geste à la parole, il tire une arme de dessous son blouson. Ce n'est pas un révolver de western dont il faut garnir le barillet, mais un pistolet noir et massif dans lequel Ignacio engage l'un des chargeurs :

- Je viens de l'acheter. Du neuf millimètres, ça fait mal. Quant à vous les filles, vous la fermez... et surtout vous ne changez rien à vos habitudes, lâche-t-il encore.

Il s'éloigne, la démarche chaloupée. Le fauve vient de s'éveiller chez l'inoffensif voyou. Pas question qu'il abandonne sa petite équipe d'acrobates - car il ne « protège » pas que Maria et Ursula, mais aussi quelques autres duos - à des marlous venus d'on ne sait où.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le réveil du fauve

 

Quand les deux filles arrivent à l'appartement, le père, fin soûl, cuve déjà. La mère, inquiète, s'arrache de la télé pour les accueillir, leur proposer à manger, et... leur réclamer leur gain de la journée.

Sur le petit écran, l'épidémie fait la une. Le présentateur en termine avec l'énoncé des précautions sanitaires. Il est bien démontré que la grippe porcine peut-être venue des USA, se transmet de l'homme à l'homme et non seulement de l'animal à l'homme. Mais ce n'est pas le principal souci des acrobates du carrefour. De l'insécurité coutumière, elles sont passées à la peur du lendemain. Cette nuit-là, la cadette, réveillée en sursaut par un cauchemar, ira rejoindre son aînée dans son lit, avant de s'enfoncer, douillettement, dans un sommeil sans rêve.

C'est assez tard dans la matinée que les filles émergent et arrivent dans la cuisine les yeux bouffis. La mère est en train de hacher finement oignons et tomates. Le père attaque sa première Corona. Le desayuno, qui n'a rien d'un petit déjeuner à la française, est bientôt prêt : des œufs brouillés mais très cuits et de la purée de haricots qu'accompagnent café au lait et galettes de maïs. Ça doit leur tenir au corps toute la journée.

Ursula n'a pas faim. Elle ne dit rien sur les évènements de la veille qui lui laissent encore une douleur au ventre, un mal qu'elle n'a pas réussi à laver sous la douche, une souffrance physiquement supportable, mais qui lui donne la nausée et lui fait voir le monde en gris.

Maria, c'est son côté fleur bleue, pense à Ignacio. Bien qu'il se serve d'elle, qu'il l'exploite depuis longtemps, qu'il lui prenne jusqu'à la moitié de la recette quotidienne, elle se sent plutôt attachée à lui bien qu'il ne l'ait jamais draguée. Ils appartiennent à cette génération du début du XXIème siècle qui connait à la fois l'incertitude et l'espoir. Leurs appétits sont semblables mais leurs attitudes si différentes ! Alors, elle porte sur le garçon un regard de midinette, le trouve beau, fort, et même rassurant malgré les menaces voilées qu'il a souvent formulées. La vision de ses blessures lui a donné envie de pleurer. Elle aurait voulu le panser, le soigner tendrement. Elle aimerait qu'il la regarde différemment des autres filles dont il tire profit. La jeune femme sait bien qu'à Mexico, si l'on veut survivre, il faut accepter certaines règles, même à contre-cœur. Sa petite sœur, quant à elle, se montre plus impétueuse et révoltée. Alors que la pré-adolescence s'annonce chez elle, au moins psychologiquement, elle voudrait bien tout envoyer balader. Fréquentant l'école du quartier, et s'y plaisant, elle désirerait, le soir, se consacrer à ses devoirs plutôt que d'aller faire le pitre au Viaduc. Mais la dureté de la vie ne lui en laisse pas le choix. Aujourd'hui, la question se posera moins car toutes les écoles seront fermées quinze jours, par décision du gouvernement, pour raisons sanitaires. Toujours le risque de pandémie qui monopolise l'essentiel des informations télévisées et de la presse, jusqu'en Europe, jusqu'en Chine et au Japon.

À suivre

Ursula ressent particulièrement de l'inquiétude quant à ce qui pourra se passer ce soir. Pourtant il lui faudra bien laisser son aînée lui prendre la main et l'entraîner dans le métro surchauffé vers le sud de l'immense cité...

En cette fin d'après-midi, l'ambiance est inhabituelle dans la rame presque bondée. La moitié des voyageurs porte un carré de tissu devant la bouche et le nez. Les visages sont fermés. Certains ne disposent pas des masques ad hoc, devenus introuvables ; ils appliquent alors un mouchoir en papier sur leurs narines et le maintiennent de la main. D'autres semblent se moquer de la situation, grave, mais pas encore alarmante. Sur les murs, maintes affiches diffusent des consignes sanitaires. Quand aux journaux, ils font leurs gros titres sur les risques d'expansion du virus et annoncent qu'il y aurait quand même une centaine de morts depuis quelques jours, que les États-Unis seraient touchés, voire à l'origine du mal, mais que la genèse de l'infection n'est toujours pas confirmée ; les pharmacies ont été dévalisées de leur stock de médicaments antiviraux et vitamines A et C. On parle même, à tort, d'une menace de pénurie alimentaire car le lundi des supermarchés ont été pris d'assaut.

A leur arrivée au Viaduc, carton sous le bras, les deux sœurs scrutent les alentours à la recherche d'Ignacio. Le jeune voyou reste invisible. Elles n'aperçoivent, à vingt mètres en amont du feu rouge, qu'un vieux mendiant qu'elles ne connaissent pas. L'homme, très voûté, est assis dans un fauteuil d'invalide. Il est recouvert d'un lourd pardessus. Un chapeau de feutre est enfoncé jusqu'à ses oreilles. Ce qu'elles aperçoivent de sa peau est noir de crasse. Les deux bras sont croisés sur les genoux, et la main qui dépasse tient une tasse en matière plastique jaunâtre.

Le bonhomme, qui les effarouche un peu, ne semble pas prêter attention à leurs premières acrobaties, peu rémunérées car il y a moins de trafic que d'habitude et comme la veille, la réticence à baisser la vitre est manifeste. Quand même, certains conducteurs se défaussent d'une petite pièce, d'un peso ou de cinquante centimes. Après quelques galipettes, la petite fille se fatigue, et se contente de jongler avec une adresse qui finira par s'améliorer. Au début, elle avait commencé à s'entraîner, chez elle, avec des goyaves. Ce qui faisait râler sa mère car les fruits en tombant se meurtrissaient. Puis elle s'est procurée de petites balles en caoutchouc de couleurs vives. Boules bondissantes difficiles à rattraper sous les voitures. Il lui faudra des billes en bois peint moins capricieuses.

À suivre

 

Le temps s'éternise. Il n'est que huit heures et à cette heure crépusculaire à Mexico, l'angoisse a tendance à s'accroître. Tout comme l'insécurité.

Il est de plus en plus difficile de distinguer les visages des occupants des voitures et malgré la proximité d'un réverbère, il devient dangereux de se faufiler dans la circulation.

Cependant, le travail des deux saltimbanques durera sans doute encore deux heures. Deux longues heures dans une atmosphère toujours plus lourde. Là-bas, des nuages noirs annoncent l'imminence d'un orage qui, comme souvent, restera sans doute sec.

Ursula et Maria remarquent que le mendiant en fauteuil roulant s'est un peu approché de l'intersection du pont avec la voie latérale. Donc des deux filles. Quand elles le regardent ostensiblement, il leur envoie un petit salut discret, portant la main au bord de son chapeau poussiéreux. Intimidées, peu rassurées, elles lui tournent alors le dos, avant de reprendre leur activité.

Maria, inconsciente, n'a pas tenu compte des recommandations d'Ignacio et laisse le plus souvent Ursula aller seule au devant des véhicules qui se font de plus en plus rares, ce qui laisse prévoir une recette médiocre.

C'est un souci de plus car les filles se demandent comment vont réagir les ravisseurs-racketteurs s'ils ne trouvent pas leur compte. Et d'ailleurs, comment arriveront-ils ? à pied ? Et s'ils sont en voiture, sera-ce la même que la veille ? Se montreront-ils violents ?

La réponse ne va pas tarder. La demie de neuf heures vient juste de sonner qu'une moto surgit à toute vitesse et freine bruyamment dans le carrefour. Hurlement des pneus. Le conducteur et son passager, en jeans et blouson, portent un casque intégral les rendant méconnaissables. L'image imprimée d'une tête squelettique aux orbites profondes orne leurs vêtements, ce crâne faisant penser à la pègre du quartier de Tépito dont les trafiquants honorent la santa Muerte, la sainte Mort.

La santa Muerte, telle qu'elle orne certains T-shirts

 

Parfois sa représentation varie. La silhouette cadavérique porte alors sa faux comme un étendard, tout en chevauchant une cavale de feu...

 

 

Le type assis à l'arrière interpelle la gamine, d'une voix assourdie par le heaume de plastique rutilant. Ursula est terrorisée. Elle hésite, mais s'approche quand même, et s'immobilise, comme paralysée. Une main gantée de cuir vient de lui attraper violemment ses longs cheveux noirs. Impression horrible d'être scalpée ! Secouée sans ménagement, complètement paniquée, elle se tourne vers la grande sœur, ultime recours. Celle-ci, mésestimant le danger, se lève et se précipite sur la chaussée, à la rescousse de sa frangine. Dans le ciel de Mexico, la menace orageuse se précise et au loin, il commence même à tonner. Mais la déflagration soudaine qui leur déchire les oreilles, suivie d'une deuxième, n'a rien à voir avec un phénomène météorologique. Ce sont des coups de feu qu'accompagne le hurlement de rage et de douleur du passager de la moto qui lâche aussitôt la fillette. Tout s'est passé très vite. Une balle a cabossé le sommet de son casque, une autre lui a touché l'épaule gauche qu'il tient maintenant de sa main droite après avoir lâché la gamine. Il est quasiment sonné. Alors que le deux-roues redémarre en trombe au risque de déséquilibrer le passager, son conducteur brandit un court pistolet-mitrailleur et tire une rafale imprécise vers le viaduc. Puis l'engin disparaît, feux éteints, vers le sud de la cité.

Éberluées, les deux sœurs se retournent et n'en croient pas leurs yeux. L'infirme qui les inquiétait tout à l'heure est debout près du fauteuil devenu inutile. Il porte encore un gros flingue à la main et se défait avec plaisir de son déguisement, chapeau et pardessus étouffant. L'air sent encore la poudre. Sous le fard de bouchon calciné ombrant front et pommettes, elles reconnaissent Ignacio qui leur lance :

à suivre

- Je l'ai échappé belle, dit-il en montrant son véhicule d'handicapé dont deux balles de fort calibre ont percé le dossier.

-  Mais nous n'en avons pas fini avec cette bande ! Ce ne sont pas des amateurs. Désormais, les filles, vous m'appartenez, vous entendez, vous m'appartenez ! Il en va de votre survie car ces types doivent dépendre d' un gang qui ne vous lâchera pas de sitôt. 

Ignacio marche alors, lentement, vers le petit jardin public. Il examine attentivement la chaussée et finit par découvrir quelques gouttes de sang disséminées. Diagnostic rapide :

- Le type doit être sérieusement touché pour saigner aussi vite, mais on risque de revoir son gang plus rapidement qu'on ne le voudrait. Les filles, ne rentrez pas chez vous ce soir. Je dispose à deux pas d'ici d'une planque que personne ne connaît. Vous allez vous y cacher. Et j'irai rassurer moi-même, discrètement, votre mère, sans lui dire où vous êtes.

 

 

 

 

La planque de la rue Bajio

 

 

Le trio s'en va, lentement, le long du viaduc, sur la voie latérale ; Ignacio a pris fraternellement les deux filles par les épaules, pour les rassurer ; il leur fait franchir une passerelle piétonnière en fer et ciment, passant au dessus du viaduc, qui aboutit dans le quartier de la longue rue Bajio. Cette voie de trois kilomètres mène à un cimetière privé, le Panthéon français et à un important établissement hospitalier universitaire. Cette artère résidentielle est rendue vivante par la présence d'une multitude d'échoppes artisanales et de magasins modestes particulièrement accueillants. Son marché de fin de semaine est également très animé. Ignacio y a un vieux copain mécanicien qui trois étages au dessus de l'atelier dispose d'un local généralement utilisé comme buanderie. La pièce, qui est donc dotée d'un point d'eau, donne sur la large terrasse de la maison, plate-forme qu'encadrent de hauts murs percés de lucarnes aux barreaux croisés. Une échelle mène, trois mètres plus haut, à la terrasse sommitale (comme il en existe sur tout les immeubles mexicains) où voisinent les réserves d'eau potable (l'adduction connaissant des défaillances) et la citerne de gaz. Un lieu stratégique donc, un endroit parfait pour guetter discrètement ce qui se passe dans la rue :

à suivre

- Ici, on ne risque pas d'être découverts trop tôt, souligne Ignacio qui après avoir salué son ami entraîne les filles dans les étages.

Ce soir là, toute la ville (comme le quartier Bajio) est plus calme que d'habitude. A cause du risque grippal, les restaurants n'ont plus le droit d'accueillir de clientèle, tous les lieux publics étant fermés, mais ils peuvent proposer la vente à emporter, encouragée par la circulaire gouvernementale. Après avoir conduit Ursula et Maria sur la terrasse, Ignacio redescend rue Bajio, va jusqu'à une petite boutique où il achète des biscuits secs, du chocolat et du coca et remonte en vitesse dans leur repaire.

Cela fait des années qu'Ignacio vit et « travaille » dans la rue. Quand il était petit enfant, ses parents qui habitaient les quartier du nord de l'agglomération n'avaient pas beaucoup de temps pour s'occuper de lui. Les repas servis à la maison étaient bien irréguliers.

 

Pour calmer sa faim, Ignacio devait se débrouiller. A 6 ou 7 ans, il se souvient avoir vendu, sur le trottoir, des chewing-gums à un demi-peso le minuscule paquet de quatre. Ils valent bien davantage aujourd'hui. Mais ce commerce ne nourrissait pas son homme, alors le gamin chapardait dans les marchés surpeuplés où, en se faufilant agilement, il n'est pas difficile, quand on est haut comme trois pommes, de s'emparer de fruits et de toutes les nourritures imaginables sans se faire repérer. Ignacio ne se fit jamais prendre par les commerçants ambulants, mais le jour de ses huit ans, alors qu'il avait mis dans sa poche le petit jouet en plastique qu'il venait de chaparder, il sentit une main se poser sur son épaule. La poigne lui sembla puissante. C'était celle d'un grand, presque un adolescent, qui l'attira à l'écart, loin de la longue galerie provisoire, couverte de toiles multicolores, qui abritait les boutiques.

- Je t'ai vu !  dit le grand qui l'entraîna dans un jardin public proche, jusqu'à un banc, dans l'ombre, toujours en le tenant fermement. Le type était vêtu d'un t-shirt blanc douteux, d'un blue-jean déchiré aux genoux et de baskets qui paraissaient énormes par rapport à sa silhouette maigrelette. Cette image avait frappé l'enfant.

 - Je t'ai vu !  répéta-t-il. Si tu ne veux pas que je te dénonce au commerçant et à tes parents, tiens-toi à carreaux. Désormais, tu travailleras pour moi. Et chut ! Pas un mot à qui que ce soit.

Tous les jours les tianguis dressent leurs tentes dans les diverses colonias de la Capitale. Ces quartiers sont en fait comparables à des villages où les gens se connaissent. Ils n'en sortent pas tous les jours pour faire leurs menus achats, mais préfèrent fréquenter ces marchés multicolores qui viennent à eux, où viandes, légumes et fruits sont moins chers qu'ailleurs. Ignacio fut donc contraint, par Francisco, de les fréquenter avec assiduité. Il ne chapardait presque plus pour son propre compte, sinon un peu de nourriture, mais uniquement sur commande. Le matin, le petit caïd lui commandait de voler, par exemple, des vêtements d'enfants, des bijoux de pacotille, ou encore de la petite quincaillerie. Le gamin se faufilait partout, passait à quatre pattes sous les bâches tendues, remplissait la besace qu'il avait en bandoulière. Plusieurs fois, repéré, il faillit se faire prendre. Mais il arrivait toujours à filer entre les doigts vengeurs de ses victimes, à se fondre dans la foule car il choisissait les heures de grande affluence, et à courir très vite dans les rues où l'on perdait vite sa trace. A chaque fois qu'il avait été repéré, il changeait d'apparence avant de revenir dans les mêmes tianguis, modifiant sa coiffure à l'aide de gomina, volée bien sûr, changeant de chemise et de casquette, et aussi de sac, sachant que la musette contenant le butin est aisément repérable. Tous les jours, il avait rendez-vous avec Francisco qui en échange de la marchandise lui laissait quelques pesos. Le receleur et nombre de ses pareils, alimentaient ainsi un marché clandestin constitué de petits vendeurs à la sauvette et pourquoi pas de commerçants installés dans les tianguis. Logique retour à la source...

Quand Ignacio grandit, d'un seul coup, comme beaucoup de pré-adolescents, il fut davantage repérable. Le chapardage devenait trop périlleux pour lui. Francisco l'employa alors comme adjoint, le chargeant de recruter des gamins, comme lui-même avait été enrôlé, et de récupérer les objets qu'ils dérobaient. C'est ainsi que progressivement il était devenu le maillon d'une organisation aussi informelle qu'illicite, d'une petite maffia qui n'allait pas cependant pas jusqu'au crime. Plus tard, toujours avec Francisco, il fut impliqué dans le commerce de la drogue. Le dealer inexpérimenté se fit prendre assez vite par la police, avec sur lui une quantité de haschich assez faible, d'où une sanction légère : il échappa de justesse à la prison, mais ainsi confronté aux risques encourus, il en tira la leçon et réussit à s'éloigner de ce milieu pour se consacrer à l'entreprise moins juteuse, mais aussi moins périlleuse du racket au petit pied : une activité pratiquée en solo même s'il faisait croire, pour effrayer ses protégés, qu'il était lié à une vaste organisation.

Confronté aujourd'hui à plus puissant et plus dangereux que lui, il allait devoir changer son fusil d'épaule. Car les motards à la tête de mort ne pouvaient que réapparaître un jour ou l'autre, et ce jour-là, il faudrait jouer serré.

En effet, avant même d'enlever quelques minutes la petite fille, les deux hommes s'étaient à coup sûr bien renseignés sur leurs habitudes. Ils avaient donc du repérer, auparavant, tant le domicile de leurs parents que les pratiques quotidiennes et les divers points de chute d'Ignacio. Restait à savoir si les deux types ne travaillaient qu'en duo, où s'ils appartenaient à une bande plus importante.

Leur situation, Ignacio ne le sait pas encore, est intermédiaire. Les deux jeunes motards ne travaillent pas pour la maffia mais pour un dur, leur oncle Émilio, ancien repris de justice qui après des années de prison n'avait pas rejoint le milieu. Le solitaire s'était installé comme cordonnier, à proximité du centre historique, pas très loin du périlleux barrio de Tépito, là où la police hésite à descendre, sinon en déployant, spectaculairement, de grandes forces avec une organisation toute militaire. Dans son nouveau fief, le quartier voisin de la Merced, il n'avait pas renoncé au crime, mais donnait l'impression de s'être rangé. Après avoir changé d'identité, il utilisait son artisanat comme couverture et se moquait du peu de clientèle fréquentant l'échoppe. En fait, sous son établi de réparateur de chaussures, il y avait une cache secrète contenant un véritable arsenal. Emilio ne sortait plus de chez lui mais utilisait comme bras armés ses neveux âgés de vingt et vingt-deux ans, deux gaillards qui bien que n'étant pas futés, n'avaient pas froid aux yeux. Ils n'hésitaient pas à préparer de temps en temps de gros coups. Le soir, c'était généralement des agressions à main armée lors desquelles il ne faisait pas bon leur résister. A défaut de subtilité, ils se complaisaient dans la violence. Cependant, ils se procuraient aussi un peu d'argent de poche en rançonnant les travailleurs des rues, ce qui était assez peu lucratif, mais sans grand péril. De surcroît, en cas de pépin, cette activité pouvait leur permettre de faire accroire à la police qu'ils ne vivaient que de cet expédient. Une couverture délinquante, donc, pour dissimuler leur véritable métier criminel.

Non seulement l'oncle Emilio leur fournissait les armes, et les éventuels alibis, mais de plus, grâce à des vieilles relations, il trouvait un débouché aux bijoux et cartes de crédits qui constituaient l'essentiel de leur butin. Emilio était donc le cerveau de leur petite bande.

Quand ce soir-là, après avoir fait un grand détour, les deux voyous se réfugient, plutôt penauds, chez l'oncle Emilio, ils se font copieusement engueuler.

- Espèces de connards, comment osez-vous venir directement ici, après votre coup raté, au risque de me compromettre ? Vous êtes dingues, ou quoi ?

Se calmant, l'oncle examine quand même l'épaule du cadet, Loco, tandis que son cousin Pédro va dissimuler le pistolet-mitrailleur au fond de la cache. La blessure a beaucoup saigné, mais peu profonde, elle est finalement bénigne. La balle n'est pas restée dans la chair mais l'a déchirée en surface ; il ne sera pas nécessaire d'opérer car la plaie ne nécessite que du mercurochrome et un pansement bien serré, soins dispensés par l'oncle lui-même car mieux vaut ne pas se faire repérer en consultant à l'hôpital. La bonne santé naturelle du blessé fera le reste ; elle devrait favoriser une cicatrisation rapide. Pour parer à tout risque, l'oncle fournit une boîte d'antibiotiques à son neveu. Dans son arsenal, sous l'établi, il n'y a pas que des chargeurs, mais aussi une pharmacopée d'urgence !

- Vous n'auriez pas du tirer, bande d'imbéciles. Où alors il ne fallait pas le rater. Ignacio sait maintenant que vous êtes armés, car c'est certainement lui qui était dans le voisinage des filles et qui a cherché à vous allumer. Réfléchissez un peu. Il a forcément trouvé une planque que vous ne connaissez pas, et désormais, s'il vous tombe dessus, il ne vous loupera pas. Cependant, vous avez un avantage sur lui. Et même une bonne longueur d'avance : Vous connaissez son visage et son identité et lui, par contre, il ignore encore totalement qui vous êtes et d'où vous venez! 

Retour à la terrasse de la rue Bajio.

Ignacio a fini de casser la croûte en compagnie des filles. Il sourit. Je vais vous montrer un truc, lâche le jeune homme d'un air finaud, mais surtout gardez cela pour vous. Quand vous étiez au carrefour du viaduc, et que j'étais planqué sur le fauteuil roulant, vous ne m'aviez pas reconnu, hein ? Eh bien, sous mon pardessus, je ne cachait pas qu'un flingue ! Je tenais aussi un appareil photo numérique discret... Quand la moto s'est arrêtée, après avoir tiré sur l'agresseur d'Ursula, j'ai également pris une rafale de photos. Sans flash bien sûr, grâce au stabilisateur optique. C'est le moment de les regarder. Maria admire la bonne idée d'Ignacio. Ursula est impatiente de voir.

Les deux filles s'approchent pour observer le petit écran lumineux. Sur les deux seules images nettes, les motards apparaissent, de dos. La tête de mort luminescente, qui évoque le barrio de Tépito, est bien visible, tant sur le blouson du passager que sur le casque du pilote. Mais surtout, détail précieux, le numéro d'immatriculation est très lisible. Tout comme la marque de l'engin.

À suivre

-  J'ai un copain dont le cousin est bien placé dans la police. Je lui raconterai une histoire d'accident pour qu'il me donne le nom du propriétaire de la Yamaha. Si les motards croient que je ne dispose d'aucun indice les concernant, ils sont désormais dans l'erreur.

La dernière photo de la rafale, un peu floue, mal cadrée, et fort penchée, permet cependant de voir la moto s'éloigner, et de distinguer en zoomant, une marque sombre : la tache de sang s'agrandissant sur l'épaule du fuyard.

Sur la terrasse de la rue Bajio, la fatigue fait cligner les yeux, surtout ceux de la plus jeune. Les deux sœurs se couchent dans le petit local, sur une couverture, c'est suffisant dans la douceur des nuits de Mexico. Ignacio préfère rester à l'air libre. Après avoir jeté, de son observatoire, un coup d'œil dans la rue, il s'installe à la belle étoile. Il s'allonge sur un matelas de plage poussiéreux qui traîne là mais reste tout habillé, desserrant néanmoins la ceinture dans laquelle était glissée son arme. Pistolet qu'il dissimule à portée de main sous sa couche, ainsi que son couteau à cran d'arrêt dont la lame effilée l'a déjà aidé à se faire respecter. Ignacio somnole. Une demi-veille en quelque sorte. Ses puissants pectoraux se soulèvent au rythme de sa respiration ralentie. Toutefois, comme un chien de garde, il a toujours une oreille aux aguets. Du moins le croit-il. Car après quelques minutes d'assoupissement, quand il sent une main se poser sur son visage, il se réveille en sursaut et ouvre les yeux, prêt à frapper. Mais il retient son geste. A la douce lumière de la Lune qu'accompagne une planète brillante, Vénus peut-être, il aperçoit le visage de Maria lui rendant une visite discrète. La jeune femme a posé sur sa bouche humide un index qui veut dire « silence ».

- Chut, la petite dort déjà, souffle Maria en posant ses lèvres sur celles d'Ignacio. Le garçon n'avait pas songé que l'acrobate du carrefour puisse venir payer son tribut de cette manière.

Au dessus de la ville endormie, sous la voûte céleste, deux corps qui se sont dénudés se mêlent voluptueusement. La jeune femme retient les petits cris du délice. Le garçon fond en elle, puis bientôt un silence paisible enveloppe le couple d'un manteau bienheureux. Il les isole des sirènes de la police et des ambulances qui au loin donnent leur concert habituel, vacarme bien insuffisant pour troubler le sommeil d'Ignacio et de Maria.

Dans la buanderie, Ursula, agacée, se retourne vivement sur sa couche. Il ne faudrait pas trop croire en sa naïveté.

- Je ne suis plus une gamine, maugrée-t-elle en sombrant dans les bras de Morphée.

Dès le lendemain, montés sur la moto de l'oncle, Loco et Pédro entreprennent des rondes entre la Guadalupe et le Viaducto. Prudents, ils ne revêtent plus le blouson à tête de mort, remplacé par des maillots anodins. Quant à la plaque d'immatriculation de la moto, elle a été adroitement modifiée. Seuls quelques caractères ont été changés. C'est donc en toute discrétion, sans casque car leur visage n'est pas connu de l'ennemi, qu'ils se déplacent à petite vitesse dans les rues étrangement calmes. Ils n'ont pas jugé utile de se protéger du virus de la

grippe, qui selon la télé, rode maintenant partout. Au point qu'il est recommandé de se laver les mains en permanence. Le danger quotidien prend pour eux un autre visage. Sans imaginer le moins du monde qu'ils se trouvent si prêts du but, ils rodent à plusieurs reprises rue Bajio, passant sans le savoir devant l'atelier de mécanique abritant les trois réfugiés.

À suivre

Ignacio a interdit aux filles de quitter la terrasse. Elles ne peuvent qu'obtempérer. C'est lui seul qui ira chercher des provisions, en espérant de pas tomber, par hasard, sur les motards. Pour éviter tout risque, il a changé lui aussi d'apparence. Ses noirs cheveux, qui étaient gominés, ont été soigneusement shampouinés : ils ondulent et flottent maintenant au moindre coup de vent. Il a troqué le blouson contre un t-shirt où s'imprime la ridicule publicité d'un fast-food. Un sac à dos de chez Mickey, porté par précaution sur le devant comme souvent à Mexico, contient ses armes. Autant d'accessoires éloignés de son look habituel.

C'est donc dans cet accoutrement qu'il descend dans la rue Bajio où les dizaines d'étals, dans le secteur de la supérette, grouillent généralement de monde ; ils donnent beaucoup de vie à cette voie plutôt résidentielle. On y trouve tous les commerces alimentaires, et même des boutiques spécialisées, par exemple dans les plantes médicinales. Dans la tradition mexicaine, les professionnels ont tendance à se regrouper par spécialités. Ainsi trouvera-t-on des rues dédiées au mobilier, d'autres à l'électroménager ou aux papiers peints et revêtements de sol. Parallèle au Viaducto, la rue Bajio y est reliée par nombre de petites rues ombragées, offrant ainsi, en cas d'urgence, plusieurs portes de sortie. Par les ruelles adjacentes, il est donc aisé, si besoin est, de trouver une issue pour filer vers le grand axe. Près de celui-ci, à proximité du pont en travaux, la place occupée habituellement par nos acrobates de carrefour vient d'être récupérée par un marchand d'essuie-glaces, d'enjoliveurs de roues et de tapis en caoutchouc pour tous types de voitures. Les Mexicains, qui adorent leur auto, aiment autant la laver et la briquer que lui faire le cadeau de menus équipements ! Joies du tuning...

Un peu plus loin, c'est un trio de gamines qui a pris le relais d'Ursula et de Maria. Le spectacle n'est pas plus original, mais il dure encore plus avant dans la nuit troublée de Mexico. Terrible vision d'un bout de chou qui se démène en plein soleil, et qui sans doute, à onze heures du soir, manifestement épuisé, tentera encore de malheureux exercices à la lumière des phares des autos s'apprêtant à démarrer.

De cet aspect épouvantable des choses, Ignacio n'a jamais pris vraiment conscience. Ce qui l'inquiète concrètement à présent, c'est qu'il n'a plus beaucoup d'argent en poche. Très vite, il va se trouver entièrement démuni, dans l'impossibilité d'acheter de la nourriture ou de s'offrir un taxi. Il a bien songé à se rapprocher de ses autres « protégées » qui s'exhibent dans différents quartiers, pour leur soutirer de la monnaie, mais il craint d'une part de les mettre en danger mortel, d'autre part qu'une imprudence de ce type ne le signale aux motards, s'ils ont préalablement repéré ses gymnastes.

Certes il est armé, mais tenter un gros coup, actuellement, lui semble trop risqué. De plus, au fond de lui-même, il n'a pas envie de commettre une agression susceptible de mettre en danger une vie humaine. Voler oui, il l'a fait toute sa vie, mais pas davantage, sauf en cas de légitime défense. Moralement, le jeune homme respecte des bornes et une sorte de code d'honneur qui le différencient de ses adversaires d'à présent, manifestement sans foi ni loi. Ainsi, lui, il n'aurait jamais voulu toucher à une fillette de dix ans... Il a été horrifié quand Maria lui a raconté ce qui était arrivé à sa cadette après l'épisode de l'enlèvement.

 

À suivre

Ignacio se souvient qu'autrefois, quand il était encore un bambin de trois ou quatre ans, sa mère l'emmenait le douze décembre, au grand pèlerinage traditionnel attirant des milliers de fidèles vers les basiliques de la Guadalupe, sur la colline sacrée que fréquentaient déjà déjà les Précolombiens, païens y vénérant une déesse maternelle. Certains fidèles s'y traînaient même sur les genoux et offraient leur souffrance en sacrifice. Signe de foi, de pénitence, ou pour implorer une intercession.

Il en garde encore des souvenirs d'une incroyable netteté. Son jeune esprit était particulièrement impressionné, dans le jardin fleuri où chantent des cascades, par cette fameuse mise en scène, réalisée en statues de bronze, des apparitions de la Vierge à l'Indien Juan Diégo sur le vêtement duquel s'imprima l'image miraculeuse.

Des photographes vénaux faisaient poser là les familles de pèlerins qui plaçaient ensuite l'image dans l'oratoire de leur maison.

Ignacio se souvient aussi qu'à proximité du parvis du nouveau sanctuaire de style moderne, de nombreux marchands du temple proposent des souvenirs aux pèlerins, chapelets, bijoux, statues, et plein d'autres pacotilles au style rococo, abondamment peinturlurées et recouvertes de feuilles d'or. Il songe donc qu'après la fermeture vespérale du site religieux, il ne devrait pas être trop difficile d'aller leur rendre visite, car crocheter quelques rideaux de fer est pour lui un jeu d'enfant. Certes, l'expédition sera impie, mais qu'importe ! A défaut d'argent restant dans les tiroirs, il pourra toujours subtiliser des bibelots d'une certaine valeur, qui ne seront pas trop difficiles à écouler puisqu'il a conservé des contacts dans le milieu des receleurs. En dehors des lieux saints, les boutiques de bondieuseries abondent au Mexique et les débouchés ne manquent donc pas. En attendant la fin de la journée, il va d'abord faire son marché honnêtement. Préservant quelques dizaines de pesos dont il aura besoin plus tard, il achète des jus de fruits, de la bière, des biscuits, et une grande pizza, la célèbre spécialité italienne s'étant implantée partout jusqu'au grand pays d'Amérique latine où les livreurs en scooter sont légion. C'est avec ces provisions qu'il regagne la terrasse où l'attendent Ursula et Maria, toutes deux affamées.

 

Pendant qu'elles commencent leur repas, il allume son téléphone mobile et appelle son pote ayant des relations dans la police. Il lui raconte une salade, qu'il recherche le propriétaire de la moto ayant éraflé en passant la voiture neuve d'un ami. Ce dernier voudrait tout arranger à l'amiable, mais pour cela, il lui faut d'abord savoir à qui correspond la plaque d'immatriculation. Fort de la promesse d'être rappelé dans l'heure, il se jette sur une part de la pizza que ses invitées ont sans vergogne largement entamée. Après une bonne gorgée de Corona, il se sent déjà mieux quand son téléphone sonne. C'est son contact qui n'a pas tardé ; il dispose des renseignements mais se montre soucieux :

- Faudra que tu fasses gaffe ! Le propriétaire de la moto n'est pas n'importe qui. C'est un certain Émilio, ancien taulard, apparemment rangé mais rien n'est moins sûr. Il tient une petite cordonnerie à la Merced, mais ses neveux, des voyous notoires, sont régulièrement fourrés chez lui et nul ne sait ce que trafique le trio.

Son correspondant ajoute :

- Ce que je crains, c'est qu'ils ne prennent assez mal ton histoire d'accident. Non seulement on ne sait pas de quoi vivent ces types, mais de surcroît, quand ils ont trop bu, ils sont considérés comme des terreurs, notamment place Garibaldi où le samedi soir, la musique des mariachis n'est pas la seule qui se fasse entendre. La poudre peut y parler et les lames y scintiller. Alors amigo, soit prudent, et n'oublie surtout pas : je ne t'ai rien dit, car ça deviendrait dangereux, pour moi, comme pour toi... Motus donc...

- Pas de souci, lui répond Ignacio. Pour la discrétion, je serai comme une tombe. Et pour le reste, ne t'en fais pas, j'irai sur la pointe des pieds... 

 

Cambriolage à la Merced

 

Désormais le jeune homme sait à qui il a affaire.

Il doit bien réfléchir à la conduite à tenir, se sentant à la fois gibier et chasseur. Depuis qu'il a blessé l'un d'eux, les motards à la tête de mort ne le laisseront pas en paix. Il lui appartient donc, non seulement d'être sur la défensive, mais de prendre, au bon moment, l'offensive. C'est encore plus urgent que d'aller se remplumer en cambriolant les pieux commerces de la Guadalupe ! Son ami mécanicien lui prêtera bien quelques centaines de pesos pour faire face aux dépenses quotidiennes car pour l'instant, la priorité est d'assurer sa propre sécurité, et celle des filles, cela en passant à l'attaque. Un combat qui serait inégal s'il était mené de front, à un contre trois. Mais il reste indispensable de mettre fin à l'actuel jeu de cache-cache qui ne saurait durer. En effet, si Ignacio a modifié son apparence, il imagine aussi que les motards, qui sont certainement à sa recherche, ont également changé d'allure générale.

- Nous pouvons très bien nous croiser dans la rue sans nous reconnaître, se dit Ignacio. Alors autant aller plus loin dans la transformation et passer à un véritable déguisement, ce qui n'avait d'ailleurs pas trop mal fonctionné au carrefour... 

Le jeune audacieux envisage donc d'aller se jeter dans la gueule du loup, du côté du centre historique, mais non sans une soigneuse préparation. Au sud de Tépito, le marché de la Merced, proche du fameux claustro – cloître – se trouve au milieu d'un réseau de petites rues. C' est l'un des ventres de la capitales. On y trouve toutes les nourritures imaginables ainsi que les feuilles de maïs et de bananier permettant de préparer les savoureux tamales. Un peu plus loin, il est possible de s'intéresser à la magie et à la sorcellerie, au mercado Sonora.

Ignacio n'aura pas à s'avancer si loin dans le quartier. La cordonnerie d'Emilio donne sur un petit jardin public, proche de la place Garcia Bravo. Pour observer ce qui s'y passe, il suffira de se faire passer pour un banal client apportant une paire de chaussures à réparer, ce qui pourra du reste lui offrir un prétexte pour un retour ultérieur.

Le garçon se serait bien déguisé en femme ; il est assez bon comédien, mais ses larges épaules et sa stature risquent de le trahir. C'est donc en commerçant ambulant qu'il va se transformer. Mais il lui faut d'abord trouver un véhicule complétant le travestissement. Son copain mécanicien détient justement, en réparation, un de ces tricycles à pédales qui dans les rues de Mexico, servent aux déplacements de maints petits marchands et livreurs. Il ne s'agit que de ressouder le cadre, ce que le mécanicien Juano accomplit en quelques minutes. Acceptant de prêter l'engin à Ignacio, il lui recommande de ramener le tricycle avant la fin du jour, puisqu'il a promis de le restituer à son propriétaire le lendemain matin.

Ignacio n'a pas grand mal à changer d'aspect. Il troque son jean contre un large short en toile lui arrivant aux genoux, attache ses cheveux avec un élastique et les recouvre d'une casquette. Enfin, il se colle sous le nez une petite moustache noire trouvée dans un bazar. Sur le plateau couvrant le large porte-bagages avant du cycle, il dispose quelques petits pains et les recouvre d'un grand torchon. Dans le sac à dos contenant les armes (dont il ne se sépare plus) il glisse une paire de sandales dont l'une des sangles est décousue. C'est le prétexte choisi pour approcher le cordonnier. De la rue Bajio, il entreprend ensuite de remonter vers le Nord, par les rues secondaires, plus sûres pour son lent équipage que les grandes avenues. Pour parcourir 5 ou 6 kilomètres une demi-heure lui est nécessaire, car malgré son bon coup de pédale, le tricycle n'avance pas à la vitesse d'un vélo de course. Fort heureusement le centre de Mexico ne présente pas de grosses dénivelées et c'est sans le moindre essoufflement qu'il parvient à la Merced. Il va lui falloir jouer serré. Sans encombre, il pénètre dans le modeste jardin public proche de la cordonnerie devant laquelle les passants sont peu nombreux. Dissimulé par les branches basses d'un palmier, il observe longuement l'échoppe ; ce faisant, il vend même, pour dix pesos, un sandwich à un joggeur de passage se sentant soudainement affamé.

Emilio se tient, inactif, à son comptoir. Il observe le trafic, salue des connaissances. Un boutiquier comme les autres, donc, qui a perdu progressivement sa dégaine de truand. Poil blanchi, ventre arrondi, il a plutôt l'air bonasse, mais faut-il s'y fier ? Ignacio enfourche sa monture, redémarre lentement, se gare devant la cordonnerie, sort les sandales de son sac et s'adresse au bonhomme :

 

- Bonjour, combien pour recoudre cela ? J'en aurai besoin assez vite... 

-  Pas le temps maintenant, bougonne Emilio, laconique. Mais comme la réparation ne représente pas beaucoup de travail, repasse ce soir. Cela te fera trente pesos à débourser. Tu paieras en venant les rechercher.

Pendant qu'Emilio s'applique à remplir un reçu, Ignacio observe la boutique. La surface ne dépasse pas une dizaine de mètres carrés. Derrière l'incroyable bric-à-brac de l'atelier, il ne distingue aucune porte, ce qui lui assure que le cordonnier n'habite pas sur place. Peut-être cependant dans l'immeuble ou un peu plus loin. Il remarque par contre l'aspect massif des volets métalliques et la solidité de la grille qui protègent la nuit un capharnaüm pourtant sans grande valeur. Ignacio y décèle un indice sur ce que la clôture est censée protéger.

Tandis qu'il observe discrètement quel type de serrure verrouille les volets et le rideau de fer, il constate que manifestement les jeunes ne se trouvent pas les parages. La moto n'est pas davantage visible, mais une roue de secours et des traces de pneus trahissent son existence.

- D'accord, à ce soir, lance Ignacio après avoir empoché le reçu. Il remonte sur le tricycle et s'en va tranquillement.

Emilio ne s'est douté de rien. Il recoud d'abord la boucle d'un ceinturon, vernit une paire de chaussures à hauts talons pour une cliente, puis commence à s'intéresser aux sandales qui viennent de lui être remises. L'homme, qui a maintenant dépassé la cinquantaine, n'a jamais cherché à tirer beaucoup d'argent de son activité légale, car il dispose de ressources autrement plus lucratives.

Il empoche cependant les trois grosses pièces que, quelques heures plus tard, Ignacio vient lui tendre en échange des chaussures. La nuit va tomber. Dans le sac du jeune homme, tintinnabule le lourd trousseau de clefs emprunté à un copain serrurier. Constatant que les neveux ne sont toujours pas revenus, Ignacio remonte sur le tricycle et pédale quelques centaines de mètres jusqu'à une friperie qu'il avait repérée auparavant. Là il achète pour une bouchée de pain un vaste poncho, un bonnet marron, de larges pantalons rapiécés. Puis, à l'abri d'un encoignure, il revêt, par dessus ses habits ordinaires, ce nouveau déguisement. Pour ressembler à un vrai clochard, il se roule, ainsi équipé, dans le tas de poussière d'un chantier proche où il dérobe un grand sac de plastique contenant plâtras et vieux emballages de ciment. C'est à la fois volumineux et pas trop lourd. Cela lui permettra de donner le change. Après avoir attaché, avec une forte chaîne, le tricycle à un pylône, il revient nuitamment vers la cordonnerie qu'Emilio vient de fermer. Comme le ferait n'importe quel clochard, il s'allonge sur un banc lui donnant vue sur l'échoppe, et fait semblant de s'endormir. La nuit fraîchit un peu. Il y a de moins en moins de monde, puis plus personne ne passe.

Comme un vagabond recherchant un abri, Ignacio vient alors s'installer dans le renfoncement que forme le porche de la cordonnerie, ce qui ne peut attirer l'attention. Il sort de son sac à dos une bouteille de soda et un peu de nourriture qu'il grignote, d'un air naturel, puis il prend à nouveau l'attitude du dormeur, tête sur son encombrant bagage. Aucun des derniers passant ne le remarque car la scène est fréquente dans les rues de Mexico. Encore des attardés, puis plus rien ne bouge. Il doit être trois heures du matin et dans ce quartier laborieux, il n'y a pas autant de noctambules que dans la zona Rosa, près du prestigieux Paséo de Réforma. Tout en faisant semblant de somnoler, Ignacio commence à bricoler la première serrure avec son jeu de clefs. Elle s'ouvre facilement. Il fait de même avec la seconde qui ne se défend pas plus longtemps avant de céder. Il est vrai qu'Ignacio n'est n'en est pas à son premier casse. C'est presque un professionnel et les serrures lui résistent rarement quand il s'emploie à les crocheter. Succès total donc. Revolver à la main, car il lui faut être prêt à toute éventualité, il soulève lentement le rideau de fer, de façon a créer un passage juste suffisant. Puis il écarte un volet, rampe dans la petite ouverture et pénètre à l'intérieur. Il rebaisse le rideau de fer, referme le volet. Une fois dans la place, il ne risque pas grand chose car il n'a laissé à l'extérieur que le sac de plâtras, qui semblable une poubelle, n'attirera pas l'attention. Il est bien peu probable que le cordonnier revienne dans l'immédiat à l'atelier. Si c'était le cas, tant pis pour lui pense le hardi cambrioleur. Il éprouverait une bien mauvaise surprise. Muni d'une lampe de poche, Ignacio explore maintenant le local mais n'y trouve rien d'intéressant. Dans un petit réfrigérateur, plusieurs canettes sont entreposées. Il prend le temps de savourer une bière puis se glisse sous l'établi à la recherche d'une hypothétique cachette. Là, une lourde plaque de métal, couvrant le sol, est verrouillée avec un fort cadenas. Voilà qui attire son attention. Il lui faut un certain temps pour crocheter cet ultime obstacle, car il ne veut laisser aucune trace d'effraction, et doit donc se montrer soigneux avant de faire glisser doucement la plaque, découvrant alors une cave minuscule à laquelle donnent accès quelques marches. Le truand Emilio, se croyant inattaquable, ne s'est pas assez méfié. Ayant négligé de faire appel à un bon serrurier, il s'est finalement assez mal protégé, devenant l'arroseur arrosé ou le détrousseur détroussé. On ne pourrait pas se tenir debout dans le sombre caveau, mais sur le mur du fond, les quatre étagères métalliques font penser à la caverne d'Ali Baba. Pas de sabre au pommeau d'or incrusté de pierres précieuses, mais plusieurs armes automatiques et révolvers, ainsi d'un gros stock de cartouches dont le cuivre des douilles luit dans la pénombre. Une grosse boîte est remplie de billets de 500 pesos, une vraie fortune ne correspondant pas aux ressources d'un modeste cordonnier. Enfin, sur un tas d'ordinateurs portables et d'appareils photo numériques, des dizaines de cartes de crédit, bleues ou or, offrent de multiples possibilités d'escroqueries à qui sait les falsifier. Ignacio a tout son temps devant lui. Il se fourre d'abord dans la poche un bon tiers des billets de banque : limité, le larcin pourra passer inaperçu durant quelques jours. S'emparant des deux mitraillettes et des deux révolvers, il les démonte soigneusement. Puis, avec une pince coupante trouvée sur l'établi, il en sabote habilement les percuteurs. L'opération, à peine visible, rend les armes entièrement inoffensives. Remontées, replacées au même endroit de l'étagère, elles ne pourront plus être utilisées efficacement contre quiconque. Veillant à ne pas laisser de traces de son passage, Ignacio sort de la cave, re-verrouille la plaque métallique, se glisse hors de la boutique, et ferme le volet puis le rideau de fer. Opération réussie. Il est 5 heures. Le jour ne va pas poindre tout de suite. Ignacio reprend l'attitude du clochard dormant sous le porche. Simulant le sommeil, il examine longuement les alentours. Rien ne bouge. Si. Un homme vient d'arriver à la boulangerie d'en face, démonte de lourds vantaux de bois, pénètre dans le fournil où il allume l'ampoule électrique. Fausse alerte. Ignacio se lève, fait semblant de marcher pesamment. Bien qu'il ne se croie pas observé, tous ses gestes restent étudiés. Dans l'ombre des grands arbres, il abandonne ses oripeaux, retrouve son allure alerte de jeune commerçant ambulant, file jusqu'à la ruelle où il avait attaché le tricycle. L'engin est toujours là. Après avoir déverrouillé l'antivol, il l'enfourche et se met à pédaler, par les rues encore tranquilles, vers le sud de Mexico où les filles, planquées sur leur terrasse, doivent trouver le temps long. Il va pouvoir restituer à temps le trois-roues à son pote mécanicien. Il range le véhicule dans le garage dont il détient la clef, grimpe quatre à quatre vers son refuge où après une telle nuit, il compte bien trouver un peu de repos. Tout semble dormir, mais Maria n'est pas dans la buanderie qu'occupe Ursula. Elle semble profondément assoupie, en plein air, sur l'inconfortable matelas de plage. La nuit a été chaude. Maria n'est vêtue que d'une simple chemise qui, au cours du sommeil, s'est généreusement retroussée, laissant apparaître ses pieds aux ongles peints de rouge sombre, ses jambes trapues de Mexicaine, fortement musclées, ses cuisses charnues mais indemnes de cellulite, et surtout le noir triangle de sa toison intime. Fourrure protégeant la vulve brune et rosée que révèle l'écartement des membres inférieurs. Elle ronfle légèrement, un bras replié sur le visage, une main posée en conque sur le sein droit. Le gauche se devine sous le tissu léger et Ignacio l'imagine en forme de poire. Un fruit mur et savoureux que son poids entraîne un peu vers le flanc de la jeune femme couchée sur le dos.  

 

(suite page 2)

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  • : Le blog de Dominique Arnaud, le Mexique révélé
  • : Après avoir accompli de longs séjours au Mexique, j'ai beaucoup écrit sur ce pays que j'aime. Riche de mille facettes, il est si différent des clichés qu'on en présente ! Ce pays qui vaut bien mieux que ce que l'on en dit mérite l'ouverture de ce blog ayant pour but de vous faire pénétrer dans ce territoire extraordinaire. Ce sera par petites touches, en n'évoquant que ce que j'ai vécu, en parlant des expériences dont tous les touristes n'ont pas l'occasion, en donnant aussi bien des infos.
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